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Les pièges du mariage...
On ne sait jamais très bien quand on devient maman. Peut-être le jour du test de grossesse quand on commence à se faire du souci pour cette petite chose qui n’existe pas encore? Ou quand on découvre ce bébé rose et fripé qui agrippe notre doigt et nous scrute avec un regard plein d’espérance? On ne s’en rend pas compte mais on vient de changer d’identité. Pendant des années, on ne se déplacera plus sans une poussette, des couches, un biberon et ses photos dans notre portable. On est un peu émerveillée, un peu fière, un peu nigaude aussi. On s’extasie pour un rien, on s’inquiète de tout. On en fera trop par peur de ne pas en faire assez. A la réunion des parents d’élèves de l’école maternelle, on se présentera en disant: "Bonjour, je suis la maman d’Anaïs." Dans cette salle couverte de dessins d’enfants, les mamans ont encore la mine heureuse des jeunes parents pleins d’illusion et d’énergie. Elles ne soupçonnent pas toutes les soirées qu’elles vont passer à s’énerver sur des récitations, à ressasser des multiplications, à faire apprendre des conjugaisons. Elles ont déjà commencé à répéter ces mots qu’elles ressasseront comme une litanie pendant des années: "Au dodo! A table! Range-moi cette chambre! Ça suffit la télé! Tu t’es brossé les dents? Non, les pommes de terre, ça n’est pas des lé-gu-mes. Éteins cet ordinateur!" Elles se sentiront souvent débordées, épuisées mais tellement occupées et importantes: les activités extrascolaires, l’appareil dentaire, l’orthophoniste, le chèque pour la cantine, les anniversaires, la salade de pâtes pour la fête de l’école. On ne voit jamais son enfant grandir, alors on continue de poser ces questions rituelles: "ça s’est bien passé ta journée? Tu as beaucoup de devoirs?", auxquelles on nous répond par un "mmmh" de plus en plus évasif. Un jour, les seins pointeront sous le tee-shirt, on entendra la petite fille dire avec une voix qu’on ne lui connaissait pas: "Ma mère, comment elle m’a trop pris la tête." Dans les réunions de parents d’élèves auxquelles on continuera d’aller sans enthousiasme, on n’annoncera plus fièrement: "Je suis la maman d’Anaïs", mais on rentrera la tête dans les épaules de peur d’entendre: "Ah, c’est vous la mère d’Anaïs! Je peux vous parler?" Fini le siège auto, l’adolescente qui chausse du 38 partira en vacances sans nous. On apprendra une nouvelle litanie: "Tu appelles si tu as besoin. Donne-nous de tes nouvelles. Tu as pris la recharge de ton portable ?" On nous répondra "mmmh" sans grande conviction. Un jour, l’adolescente s’en ira vraiment (d’après le journal Marianne, vers 30 ans à cause de la crise). Au début, on sera soulagé parce qu’elle aura 26 ans et que, par les temps qui courent, ça sera très précoce. On espérera juste qu’elle a encore envie de venir nous voir de temps en temps. Quand elle nous honorera de sa présence, on évitera de poser des questions qui fâchent comme: "Quand est-ce que tu vas décrocher un vrai boulot? C’est sérieux entre vous? Tu avais déjà dit ça la dernière fois." De peur de la contrarier, on finira par ne plus poser de questions. On deviendra comme nos parents, on parlera de tout et de rien, on ressassera des souvenirs. Elle nous trouvera ennuyeux. Un jour peut-être, elle ne viendra plus du tout. Pour l’instant, il y a ce cadeau made in CE1 sur lequel je dois m’extasier. Les années passent, la société bouge mais les cadeaux de Fête des mères restent, aussi immuablement inutiles qu’émouvants : un torchon peint à la main qui va déteindre au lavage, un pot à crayons orange brillant, un cadre à photo en papier mâché bleu avec des paillettes dorées… Cette année, c’est une boîte à bijoux argentée qui a gardé un peu de l’odeur du camembert qu’elle contenait initialement. Ma petite fille de 7 ans lit avec application un poème qu’elle a recopié sur une grande carte verte un peu gondolée parce qu’il a plu dessus et que la carte ne rentrait pas dans son cartable. Elle a écrit: "Pour ma maman que j’ème." J’ai le coin des yeux humides, l’adolescente l’a vu et se moque déjà: "Me dis pas que tu pleures? Trop pas!" Et si c’était ça le plus beau cadeau que nous font nos enfants? Ne pas nous faire de cadeau. Anne Romanoff - Le JDD - 30/5/2010
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