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D’après Pearl Buck - Pavillon de femmes.
De Pearl BUCK, "Le pavillon des femmes". J'ai
dit à mon fils: "si tu dois lire ces livres, attends d'avoir quinze
ans, et puis lis-les ici, dans ma bibliothèque, sans les cacher parmi tes
livres de classe. Madame
Wu avait alors posé une de ces questions franches: «
Notre Père, croyez-vous que mon intelligence ne dépassera jamais celle
de mon Seigneur à quinze ans?» «
Votre intelligence est fort bonne pour une femme, avait-il fini par dire.
Je crois même, ma fille, que, si votre cerveau s'était trouvé dans le
crâne d'un homme, vous auriez pu vous présenter aux Examens Impériaux,
les passer avec honneur et devenir ainsi un personnage officiel du pays.
Seulement votre cerveau n'est pas placé dans un crâne d'homme, mais dans
celui d'une femme. Arrosé d'un sang de femme, le cœur d'une femme y bat,
et il est limité par ce qui doit être une vie de femme. Chez une femme,
il n'est pas bon que la croissance du cerveau dépasse celle du corps. » Si
elle n'avait pas été une créature si raffinée, la question suivante
eut pu, de sa part, paraître indélicate. Mais elle savait que
Vieux-Monsieur l'aimait bien et la comprenait. C'est pourquoi elle demanda
encore: «
Est-ce à dire, notre Père, que le corps d'une femme importe plus que son
cerveau? » Vieux-Monsieur
avait poussé un soupir. Il s'était assis dans le grand fauteuil de bois
de cèdre, devant la longue table de la bibliothèque. En pensant à lui,
Madame Wu s'y assit à son tour, tandis que ses souvenirs s'attardaient
sur ce jour lointain. Vieux-Monsieur avait caressé sa barbiche blanche et
un semblant de tristesse avait passé dans ses yeux: « Ainsi que la vie le prouve, disait-il, le corps de la femme importe plus que son intelligence. Elle seule peut créer de nouveaux êtres humains. Sans elle, la race humaine cesserait d'exister. Dans son corps, comme dans un calice. le ciel a déposé ce don. Son corps a donc, pour l'homme, un prix inestimable. Si elle ne crée pas, il n'arrive pas à son achèvement. Lui, il est la semence, mais elle seule peut amener la fleur, puis le fruit, qui sera un autre être semblable à lui. » Elle avait écouté attentivement. Elle se revoyait, telle qu'elle était ce jour-là, à seize ans, debout devant le vieillard plein de sagesse Elle lui avait posé encore une autre question. « Alors pourquoi ai-je de l'intelligence, moi qui ne suis qu'une femme? » Vieux-Monsieur, en la regardant, avait secoué lente ment la tête. Un clignotement léger, bien rare chez lui, avait passé dans ses yeux: « .Je n'en sais rien, avait-il répondu. Vous êtes si belle que vous n'avez vraiment, au surplus, pas besoin d'intelligence. »
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