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Faut-il faire l'amour pour être heureuse ?Par Elisabeth Alexandre, dans
Marie-Claire
http://www.marieclaire.fr/,faut-il-faire-l-amour-pour-etre-heureuse,.. Faire l'amour n'est pas qu'une question de tempérament, d'histoire intime et de périodes de la vie. L'importance que nous donnons au sexe dépend aussi du climat de l'époque, de notre éducation, des médias, de la publicité, du cinéma... Le point sur un demi-siècle parfois très chaud... ou pas. 1/8 Le lien entre bonheur et plaisir charnel est unepréoccupation de femme libérée. Forcément, la question ne s'est pas posée tant que les femmes ont fait l'amour la peur au ventre, pour répondre aux demandes de leur mari, ou percluses de culpabilité dans les bras d'un amant. « Tant que la sexualité est prise dans un système moral contraignant, elle ne peut en aucun cas être source de bonheur », souligne Elisa Brune*. Il a fallu la possibilité d'avoir une vie sexuelle selon ses désirs pour que les femmes aient droit au plaisir. Depuis, l'épanouissement sexuel n'a cessé de prendre une place croissante dans notre définition du bonheur. Mais avec des bémols, depuis le sida, et des tonalités propres à chaque époque. Chronique des hauts et des bas de nos ébats. (*) Auteure de « La révolution du plaisir féminin. Sexualité et orgasme » (éd. Odile Jacob).
2/8 Faire l'amour dans les années 50 A cette époque, la sexualité féminine est taboue, réprimée, et la contraception, rigoureusement interdite. Le simple fait d'évoquer le préservatif choque la société. Une femme qui couche avant le mariage vit dans la hantise de passer pour une dévergondée ou dans la terreur de tomber enceinte. Dans cette atmosphère étouffante, ce qui rend officiellement les femmes heureuses, ça n'est évidemment pas la sexualité (vécue dans le refoulement ou l'angoisse de la transgression), mais l'acquisition d'un aspirateur ou d'un lave-linge. Alors, certes, « on peut parfaitement construire un équilibre hors de la sexualité », comme le confirme Elisa Brune, qui a interviewé quantité de femmes sur le sujet. La preuve... Mais sous la façade immobile d'un prétendu bonheur conjugal, les frustrations s'accumulent, les désirs enfouis taraudent les corps et les inconscients. Le couvercle puritain est en train de craquer. Dates-clés 1956 Petit scandale : dans « Et Dieu... créa la femme » de Roger Vadim, Brigitte Bardot incarne une fille libre de son corps et de son plaisir. 1958 Dans « Les amants » de Louis Malle, les spectateurs découvrent le visage de Jeanne Moreau connaissant l'extase sous les caresses de son partenaire. Le credo « Love me tender, love me sweet, never let me go. »Elvis Presley, 1956 Le credo « Jouissonssans entraves. » Slogan de Mai 68
3/8 Faire l'amour dans les années 60 Pour la jeunesse du pays, la répression sexuelle devient insupportable. On se met à lire l'oeuvre du psychanalyste autrichien Wilhelm Reich, qui soutient que tous les malheurs du monde guerres, maladies et névroses proviennent de la frustration sexuelle, que sa disparition conduira à la paix, à la justice et au bonheur universel.
Il est désormais « interdit d'interdire ». Les pionnières féministes, elles, déclarent : « Quand une femme dit non, c'est non. » Bref, les thèses de Sigmund Freud triomphent : la satisfaction et le plaisir individuel sont bien le but ultime de l'existence. Et les femmes ont gagné le droit de choisir. « La révolution sexuelle féminine est directement liée à l'émancipation des femmes, souligne Elisa Brune. La possibilité d'avoir une vie sexuelle librement choisie est le préalable indispensable pour qu'on puisse envisager un lien entre sexualité et bonheur. » Lorsqu'on cesse de faire l'amour avec la trouille de la grossesse, on peut enfin passer par la case « Plaisir ». Un ingrédient de plus en plus indispensable au bonheur. Dates-clés1962 Mary Quant invente la minijupe, et le collant remplace paire de bas et gaine porte-jarretelles, donnant aux femmes une nouvelle liberté de mouvement. 1967 Dans la cité universitaire de Nanterre, des étudiants envahissent le bâtiment réservé aux filles, dont ils seront expulsés par la police. 1967 A San Francisco, quelque 100 000 hippies couverts de fleurs lancent le flower power pendant le Summer of love. 1967 En France, promulgation de la loi Neuwirth, légalisant la contraception. « Faites l'amour, pas la guerre » Le credoJohn Lennon, 1974
4/8 Faire l'amour dans les années 70 C'est la parenthèse enchantée : pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la sexualité n'est plus maudite. Les femmes peuvent faire l'amour sans risquer grossesse,condamnation sociale ou maladies incurables. On baise à tirelarigot, avec quelques effets pervers. Une femme qui ne couche pas passe pour une coincée, version inversée de la salope. Les féministes remettent en question les stéréotypes sexuels et revendiquent leur propre jouissance. Dans un cinéma des Champs-Elysées, « Emmanuelle » tient l'affiche pendant plusieurs années, battant le record de « West side story ». Dans Marie Claire, en janvier 1972, « 20 femmes décrivent le plaisir tel qu'elles le ressentent ».L'orgasme devient tendance. En mars 1976, Marie Claire, encore, titre : « Le plaisir retrouvé : le traitement de la frigidité ». Les guides du « bienjouir » ont de beaux jours devant eux. « Dans ce contexte, conclut Elisa Brune, pour beaucoup de femmes, l'épanouissement sexuel devient une composante indispensable du bonheur. » Dates-clés1970
Création du Mouvement de libération des femmes.
5/8 Faire l'amour dans les années 80 C'est acquis : une sexualité épanouie fait partie du bagage d'une femme heureuse et libérée. Dans Marie Claire (juillet 1984), « des nymphos heureuses » témoignent. D'autres racontent leurs fantasmes « avant, pendant, après l'amour » (décembre 1984). Des couples exhibent leurs séances chez le sexologue (juin 1989). Plus question de renoncer au plaisir. Une interrogation promise à un bel avenir se fait jour : « Vivre sans faire l'amour, est-ce mauvais pour la santé ? » Dans ce cadre, on a beau être, par nature ou par contexte amoureux, plus ou moins « portée sur la chose », l'injonction est claire : oui, il faut faire l'amour pour être belle, bien... et même en bonne santé. Ne pas jouir, ça se soigne. Ne pas avoir envie, c'est suspect. Bref, on entre en flèche dans l'ère de « la dictature de l'orgasme ». Mais, dans le même temps, le virus du sidaapparaît, on commence à admettre qu'il ne concerne pas les seuls homosexuels, hémophiles et Haïtiens... « De nouveau, une crainte plane sur la sexualité, d'autant que les femmes ont du mal à négocier l'usage du préservatif », souligne la sociologue Janine Mossuz-Lavau*. Alors, oui, le sexe est devenu une composante-clé d'une vie réussie. Mais on ne peut plus faire l'amour avec n'importe qui, n'importe comment. Les injonctions se brouillent. La quête du bonheur sexuel est de plus en plus complexe. (*) Auteure de « La vie sexuelle en France » (éd. Points). Dates-clés1982 Fin de la discrimination entre homosexuels et hétérosexuels dans le code pénal. 1983 Découverte du virus responsable du sida. Un siècle après les ravages de la syphilis, la sexualité redevient mortelle. 1986 « 9 semaines 1/2 » d'Adrian Lyne. Le credo « The show must go on. » Queen, 1991
6/8 Faire l'amour dans les années 90 Le discours sexologique s'impose. Ce qui compte désormais, c'est l'orgasme, au risque de prendre (ou remplacer) l'autre pour (par) un objet. Les magazines multiplient conseils et recettes afin d'être une femme comblée. Dans Marie Claire, on pose « 100 questions sur le sexe » (mars 1990), on va à « L'école de l'orgasme » (octobre 1991), et on explique « Pourquoi j'adore faire l'amour » (avril 1993) et « Les secrets du corps intime » (mars 1994). Le préservatif est entré dans les moeurs, du moins dans les médias, qui cherchent à le rendre ludique, érotique... Bref, le plaisir est normé, décortiqué, mis en statistiques et fortement valorisé par le discours ambiant. En parallèle, la chasteté devient une mode. En fait, chacun(e) se cherche. « Je ne crois pas que les gens, notamment les femmes, s'en laissent imposer par les médias, les sexologues et tous ceux qui interviennent sur le sujet, affirme Janine Mossuz-Lavau. Les témoignages prouvent que, oui, les femmes sont devenues exigeantes, entendent être satisfaites, avoir une vie sexuelle épanouie. Auparavant, la sexualité comptait beaucoup moins (ou pas) dans la survie d'un couple. Cela dit, je rencontre aussi des couples "heureux" qui ne font plus l'amour depuis un certain temps. Les choses sont beaucoup plus complexes que le discours ambiant. » Dates-clés 1990 L'Organisation mondiale de la santé retire l'homosexualité de la liste des maladies mentales. 1993 Le réalisateur Cyril Collard meurt du sida, avant de recevoir, à titre posthume, le césar du meilleur film pour « Les nuits fauves ». 1998 « La tyrannie du plaisir » de Jean-Claude Guillebaud (éd. Points) reçoit le prix Renaudot de l'essai. 1999 Lancement du Viagra sur le marché. 1999 Sortie en salles de « Romance » de Catherine Breillat. 2000 « Baise-moi » de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi.
7/8 Faire l'amour dans les années 2000 Jamais le sexe n'a été aussi banalisé, et le plaisir, aussi accessible. Qu'on ait un partenaire ou non. Nous voilà dans l'ère du « sex-friend », du sex-toy... et même des « fucking machines », sortes de robots baiseurs. Dans la presse, pas un jour sans qu'un article se fasse l'écho d'une étude prouvant que la sexualité est bonne pour la santé (et donc, nécessaire au bonheur). De même qu'on doit manger cinq fruits et légumes par jour, arrêter de fumer et s'inscrire dans un club de gym, on doit faire l'amour pour diminuer le stress, renforcer ses défenses immunitaires et booster son estime de soi. De préférence en écoutant ses fantasmes les plus secrets. Et si on n'en a pas, il y en a à notre disposition sur Internet et dans les nouveaux best-sellers. Depuis la naissance de Meetic, on peut revendiquer la « rencontre » sans forcément l'amour. Et l'obtenir. Une chose est sûre : plus on jouit, mieux c'est. « Dans ce contexte de liberté absolue de choix, les femmes expriment sans tabous leurs besoins, constate Elisa Brune, qui en a interviewé des centaines. Même sans partenaire, elles ne renoncent pas à se donner du plaisir. Celles qui sont en couple non plus, d'ailleurs, et elles ne s'en cachent pas. Une sexualité épanouie est devenue une composante importante et universelle du sentiment de bonheur. » Dates-clés2001 Lancement, sur M6, de l'émission de téléréalité « Loft story ». 2002 Mise en ligne de Meetic. 2009 Lancement, en décembre, de Gleeden, site Internet consacré aux rencontres extraconjugales. 2012 Sortie en librairies de « Cinquante nuances de Grey » d'E. L. James (éd. JC Lattès).
8/8 Faire l'amour aujourd'hui... Le sexe est désormais un bien de consommation comme un autre. Plus on en a, mieux c'est. Ça, c'est pour le climat ambiant. Et dans le secret des alcôves ? « Même si le discours est normalisateur et banalise des pratiques minoritaires, la réalité n'est pas si conforme, affirme Janine Mossuz-Lavau. Mon expérience de sociologue de terrain, c'est que le processus de libération sexuelle se poursuit tranquillement, chacun(e) gardant son autonomie et son inventivité. Pour être bien dans sa peau, et bien tout court, ce que tout le monde recherche, c'est le désir réciproque et irrépressible. Ce n'est pas si fréquent, mais, oui, ça contribue beaucoup au bonheur. »
Le credo « Etre fidèle à deux hommes, c’est être deux fois plus fidèle. » Slogan du site Gleeden, 2012 http://www.marieclaire.fr/,faut-il-faire-l-amour-pour-etre-heureuse,.. |
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